Vous êtes ici : Accueil du site > Articles CommVal d’AY > LIBERTE CHERIE…
Publié : 21 juin 2015

LIBERTE CHERIE…

A une écrasante majorité le Parlement vient de voter le projet de loi du gouvernement concernant le renseignement. Pourtant une opposition massive s’est manifestée sur ce texte, venant particulièrement des acteurs institutionnels chargés de défendre les droits et libertés : magistrats et professionnels du droit, Syndicat des avocats de France, Associations de défense des libertés ainsi que des professionnels du numérique. Tous ont souligné la dangerosité de cette loi.

Dans quel monde vivent donc notre gouvernement et nos députés ? Sont-ils sourds ?

L’argument avancé est la lutte contre le terrorisme. L’argument est porteur certes car qui pourra dire qu’il est contre la lutte contre le terrorisme ?! Sauf que, depuis 2001, il y a déjà eu 8 lois contre le terrorisme, dont 2 sous F. Hollande*. Aucun bilan de leur efficacité n’a été fait. Mais surtout, de l’aveu même des professionnels de la lutte contre le terrorisme, cette loi n’aurait pas empêché les attentats du 7 janvier. De plus, elle a été élaborée avant ces évènements. Il y a donc de la part du gouvernement, et des parlementaires qui ont voté cette loi, une récupération politicienne d’évènements dramatiques, afin de faire passer un texte qui en réalité prévoit une surveillance qui va bien au-delà du seul terrorisme : de 5 motifs actuels, elle s’étend à 7, les deux nouveaux étant la défense « des intérêts essentiels de la politique étrangère » et la « prévention des violences collectives ». Il y a donc un vrai risque d’utilisation du renseignement contre des mouvements sociaux ou de contestation politique. En quoi cette loi est de plus dangereuse pour les libertés ? L’Histoire n’a que trop montré qu’une société où la surveillance est intrusive se sclérose. Or ce qu’il faut bien voir aujourd’hui c’est que la technologie moderne rend infiniment puissants les moyens de surveillance, à un degré qu’aucune dictature n’a jamais connu. Cette loi prévoit que les technologies de surveillance seront installées directement chez les fournisseurs d’accès à internet et dans les entreprises de télécommunications. On connaît l’efficacité de l’utilisation des données recueillies par les fournisseurs internet à des fins commerciales, n’est-il pas extrêmement inquiétant qu’elles soient exploitées maintenant à des fins politiques ? Ceci ne serait rien d’autre qu’une entrave insupportable à la liberté de pensée. Quant à décider de qui doit être surveillé, cette décision appartiendrait au seul premier ministre, qui pourrait passer outre la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignements (CNTTR) ! Exit l’autorité judiciaire ! Pourtant, l’article 66 de la Constitution stipule que la Justice « est gardienne de la liberté individuelle ». Il est toutefois prévu que certaines professions échapperont à la surveillance : avocats, journalistes et… parlementaires ! (on comprend alors aisément pourquoi ils l’ont si facilement votée…)

En réalité, ce projet de loi sera inefficace dans la lutte contre le terrorisme du fait que le renseignement de terrain est bien plus utile que des interceptions électroniques de masse auprès d’individus qui savent de toute manière que leurs communications sont surveillées et agissent donc par d’autres canaux. On peut craindre qu’avec l’austérité et le dogme de la baisse des dépenses publiques, d’une part, et la pression accrue exercée par la hiérarchie sur des agents de terrain déjà surmenés, le problème n’aille en s’aggravant. Les professionnels du renseignement sont unanimes sur ce point.

On entend souvent moi je n’ai rien à cacher, etc. Il nous revient alors cette phrase de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ». Cette loi fait référence au fantasme d’une sécurité totale se fondant sur la capacité à prévoir le futur et à contrôler par anticipation les risques à venir. En plus d’être totalement illusoire, cette « prévision » ne laisse aucune place à ce qui est indéterminé, à la liberté individuelle, à ce qui fait qu’on est humain. Ce serait un recul démocratique sans précédent que de s’engager dans une telle voie.

G. Largillier

* celle de novembre 2014 concernant l’interdiction administrative de sortie du territoire, est attaquée devant le Conseil d’État par le Syndicat de la Magistrature pour excès de pouvoir.